Misa et Pearl rentrent après leur rencontre

Les quatre êtres, tous différents, avançaient d'un mouvement uni, se rapprochant du . Ils regagnèrent le chemin principal, le remontèrent jusqu'à sa source, vers le Nord-Ouest, pénétrèrent dans le Hall, et se dirigèrent vers le Grand Salon.
Celui-ci, gigantesque, plut tout de suite à Mêydan, adulant les contacts, qui sentit là une pièce apte à faire se rencontrer des êtres pouvant s'apprécier. Grand, lumineux mais contenant quelques sombres recoins, tranquilles, possesseur d'une gigantesque, massive, phénoménale cheminée, meublé de fauteuils, de chaises, de tables, de sofas, canapés, et autre banquettes, de guéridons. Disparates mais unis. Donnant à la pièce un ensemble, un fond homogène.
Misa et Pearl marchaient devant leurs deux Compagnons, nullement mécontentes de regagner la chaleur du .
La jeune Mi-Démone, quand à elle, était néanmoins anxieuse. Elle n'avait pu se défaire de la tenue qu'elle revêtait pour pratiquer l'Ertaj, et la dévoiler aux regards la déplaisait. Elle se mouvait gracieusement, mais d'une allure dangereuse. Féline.
"Dîtes-moi, Pearl, habitez-vous dans le Château,et elle souligna ces derniers mots, depuis longtemps ?"
Derrière elles, Mist et Mêydan, les suivaient à quelques mètres de distance. L'un à terre, souple, silencieux, son allure étrangement semblable à celle de Misa, l'autre volant, planant, sautillant, un peu pataude au sol. Après une discussion anodine, quelques petits échanges inoffensifs, s'ensuivit une question, que le Corbeau femelle posa à son interlocuteur en l'observant :
"Le Chat... Souffres-tu ?"

Pearl mena Misa jusqu'à un fauteuil et lui fit signe de s'y assoir, puis prit place à son tour. Elle observa longuement le visage pâle de la jeune demi-Démone, fascinée par ses traits singuliers, d'une beauté sauvage et saisissante.
Quand, enfin, elle se décida à répondre, sa voix se fit lointaine :

- A vrai dire, je ne regarde plus le temps. Mois, années, je n'en sais rien. Je suis ici, rien d'autre ne compte.

Mist resté en retrait avec Mêydan, fixait cette dernière de son air impénétrable. Il ne comprenait pas sa question. Penchant la tête sur le côté, son regard allant vers les flammes dansantes dans l'âtre, il murmura :

- Je ne sais ce que vous appelez "souffrir", Dame Corbeau.

Misa, assise confortablement dans le fauteuil recouvert de velours, ne leva pas le regard vers Pearl pendant que celle-ci l'observait. Au bout d'une poignée de secondes, l'oublia d'ailleurs, regardant fixement l'âtre de la cheminée, et les flammes mouvantes, dansantes, l'habitant.
*Je crois que je me rassirais dans ce fauteuil la prochaine fois ! Il est agréable, et je commence même à somnoler...*
Lorsque la Vampire lui répondit enfin, les flammes du brasier brûlant dans la monumentale cheminée jetant quelques reflets miroitants sur sa blanche dentition, Misa se retira de ses pensées pour revenir dans le flot de la vie.
"Merci d'avoir répondu à ma question..."
La jeune fille, nouvellement arrivée, se redressa quelque peu, s'arrachant un court instant à la gangue de velours pourpre l'entourant, pour mieux lui revenir, après avoir changé de position, jambes croisées, pieds sur le siège. En effet, pour pratiquer l'Ertaj, Misa ne se chaussait que de petits souliers n'accrochant pas le sol, ne gardant de traces de terre, de sable, ou de quelconque matière organique. Ne salissant donc point le fauteuil.
"Pearl..."
Et elle savoura le fait de dire un prénom après y avoir été invitée. Preuve de quelque lien, aussi ténu et fragile soit-il. Après avoir remis une mèche noire de ses cheveux en arrière, et en avoir longuement caressé l'agréable texture, elle reprit, fixant son interlocutrice dans les yeux :
"Accepteriez-vous de me raconter quelque épisode de votre vie ? Aussi court ou insignifiant soit-il. Peut-être... Oh !"
Gênée, torturée, Misa baissa les yeux, une petite rougeur lui ayant recouvert les joues et la naissance du cou.
"Vous n'êtes pas obligée de répondre. Excusez-moi."

De son côté, Mêydan, après que Mist lui eût répondu, continua à le fixer comme elle le faisait pendant qu'il prononçait les quelques mots composants sa courte réponse. Peut-être, non, sans doute !, ne lisait-elle pas très profondément dans les âmes et les esprits des êtres, mais néanmoins, elle avait senti quelque chose de diffus, confus, dans le Maître du . Quelque chose... sombre croisement entre manque, vide, et trop-plein, ainsi qu'une légère cicatrice. Elle avait lu ce qu'elle cherchait. Tréfonds de l'âme.
" Ce n'est pas grave."
Elle tourna la tête vers l'une des grandes fenêtres, observa un court instant le noir de l'extérieur, tel un gigantesque dais de la même teinte, recouvrant tout ; et se replongea dans la conversation. Formulant, en silence, la suite de ses pensées.
"Ce n'était pas important. Je m'interrogeais, voilà tout. Simple curiosité. Cependant... je sens depuis notre rencontre l'odeur d'un autre animal de la même race que toi, bien que d'une flagrance plus sucrée. As-tu un compagnon, ou plutôt, une compagne ?"

Pearl, parfaitement immobile dans son fauteuil pourpre, fixait d'un air mélancolique la valse dangereusement envoûtante des flammes, dans l'âtre. Un reflet, lent et gracieux, caressait les murs, telle une impossible vague sans cesse en mouvement. Le château aimait jouer avec les illusions. Cette atmosphère nonchalante, bercée d'une chaleur douce, semblait favorable à une longue soirée de repos et de discussion. Il y avait longtemps qu'une telle occasion ne s'était présentée à Pearl, et celle-ci décida de ne point la rejeter. Auprès de Mist, elle n'éprouvait aucun ardent besoin de délivrer sa voix, aussi celle-ci s'était repliée dans le fond de sa gorge, et l'utiliser lui demandait à présent un effort considérable, comme le témoignait son timbre perpétuellement bas et éloigné. Mais cela lui importait peu. Accompagnée du murmure de la brume des années durant, entendre de sa propre bouche un chuchotement diffus lui paraissait familier.
La jeune fille passe sa blanche main dans la chevelure d'ébène qui lui couvrait les épaules. Ses doigts poursuivirent leur chute jusqu'à ses genoux, sur lesquels ils se replièrent. Pearl gardait le silence. Elle savait ce qu'elle souhaitait raconter à Misa, mais devait placer en ses cordes vocales une confiance suffisante pour se lancer dans son discours.
Enfin, son regard glissa sur les murs, suivant la ligne mouvante des reflets que s'amusait à créer la demeure, pour venir se perdre dans celui de la jeune Hybride. Jamais Pearl n'avait vu de tels yeux auparavant. Un sourire se dessina sur sa figure et elle entama son récit, de sa voix chétive, murmure à demi-noyé par le crépitement du feu :

- Lorsque le Portail s'est ouvert à moi, il y a de cela un temps que je ne puis estimer, une chose a changé en mon être. Non pas le maléfice qui a fait de moi un Vampire - cela, je ne l'ai presque pas ressenti - mais quelque chose de profondément enfoui dans mon coeur. Je crois qu'à l'instant où les brumes m'ont "adoptée", mon bonheur s'est mis à grandir. Non pas que j'aie été infiniment malheureuse au cours de mon enfance mais . . . il devait me manquer un fragment de puzzle pour me compléter. Et je l'ai trouvé ici. J'avais des amis dans mon orphelinat. On m'a forcée à les quitter pour rejoindre une famille. Mes nouveaux parents étaient merveilleux, certes mais peut être que je n'attendais pas une famille. Peut être qu'il me fallait autre chose. Ce n'est qu'ici que j'ai pu la trouver. Quand mes pas m'ont guidée hors de la Forêt . . . quand ils m'ont emmenée au devant du château . . . j'ai découvert Mist. Il semblait attendre. De loin, je l'avais pris pour une statue. A mon approche, il s'est animé et m'a rejointe. A partir de cet instant, je ne sais par quelles paroles nous nous sommes mutuellement accordé notre amitié. Mist est un être particulièrement insaisissable. Mais je ne peux m'empêcher d'aimer le peu que je sais de lui.

A ces mots son regard coula dans la direction de l'animal, et la tendresse se dessina dans le brouillard de ses yeux.

Mist observa à son tour une fenêtre, pour contempler la splendeur nocturne que celle-ci découvrait. Il aimait cet instant où les choses diurnes s'en vont vers un profond sommeil, et où d'autres s'éveillent. Le moment où le Rougeoyant se laisse choir sur l'autre rive de l'horizon et ou Dame Lune s'élève.
Ses yeux verts, lacs de rêve au pied des forêts du monde, revinrent se poser sur Mêydan.

- Un autre Chat, en effet, réquisitionne l'attention de Pearl, déclara-t-il, d'une voix feignant la jalousie. Elle se nomme Tempest. Sans doute aurez-vous l'occasion de la rencontrer.

Mêydan, après que Mist lui eût répondu, lui souffla :
"C'est bien ce qu'il me semblait. J'espère qu'elle sera aussi complexe que toi, et je me ferais une joie de lui parler."
Elle lança ensuite un regard en coin vers son amie, Mi-Démone, continuité de son cœur, de son âme, et déclara de nouveau au Chat :
"Et si nous allions rejoindre nos Amies, qu'en dis-tu ?"
Sans attendre de réponse, elle s'envola, longea l'un des hauts murs de la pièce, effleura les bûches à l'intérieur de l'imposante cheminée, sans se brûler, et se posa sur l'accoudoir gauche de sa compagne.

Pendant que son interlocutrice lui répondait, d'une voix étouffée, Misa observait tout alentour, en apparence d'une simple curiosité, en réalité aux aguets. Néanmoins concentrée sur les paroles prononcées.
La jeune mi-Démone entendait chaque mot, chaque phrase, devinant ceux et celles qu'elle ne pouvait déchiffrer, inaudibles.
Elle observa les ombres insaisissables, mêlées de rêve, mouvantes, fuyantes, vit les flammes de la flambée s'allonger, s'étirer, toujours dansantes, se recroqueviller, et repartir, au rythme du bois qui partait en fumée. Elle remarqua l'étrange mais magnifique sol, enchevêtrement complexe de carreaux de faïence, blancs, noirs, opposés mais unis. L'un aspirant l'autre. L'un pureté, l'autre mélange ayant besoin de toute couleur pour exister.
Misa essaya d'en comprendre la logique. Elle releva ensuite les yeux vers ceux de Pearl, contant, racontant, l'un des décisifs épisodes de sa vie. Elle s'y perdit, participant au long regard que lui lançait depuis quelques temps déjà la Vampire. Échange, confiance, esquisse d'amitié, échancrure en vue d'un lien inaliénable. Regards profonds, reflétant les puits sans fin des Âmes. Lorsque Mêydan, lanterne de sa sombre vie, la rejoignit, elle ne broncha pas. Ne lui jeta pas même un regard, ses yeux restant plongés dans ceux de Pearl. Ne prononça aucune parole. Écoutant avec attention les dernières de son interlocutrice. Elle étendit juste la main et caressa le doux, noir pelage de son amie, preuve qu'elle en avait remarqué l'arrivée. Depuis, d'ailleurs, l'instant où elle avait pénétré dans Le Château, elle avait coupé son esprit aux pensées de celle-ci, la conversation qu'elle menait avec Pearl lui suffisant. Accaparant son attention.
Lorsque cette dernière se fut tue, Misa conserva un silence qu'elle jugeait de mise, quelque peu religieux. Cela faisait des années qu'elle n'avait entendu une voix humaine aussi longtemps. Elle s'en repaissait, s'en imprégnait, de peur qu'un jour, seule, il ne lui reste que cela comme souvenir. Ancien réflexe, qu'elle ne pourrait perdre qu'au terme de longs mois. Au mieux.
Elle ne fit aucun commentaire au récit, que celui-ci :
"Je comprends, ou tout du moins je le crois, le Lien qui vous unit, vous et Mist, fit-elle en désignant de la main le Chat, mais regardant toujours Pearl. Lorsque j'ai rencontré ma chère Mêydan, que je lui ai parlé, j'ai senti quelque chose remuer en moi. Un embryon de sentiment qui depuis ce mémorable jour, s'est accrut, jusqu'à me remplir. Mêydan... Moi... nous nous comprenons. Je ne saurais vous l'expliquer, mais vous devez le comprendre, le sentir en vous-même. Je comprends Mêydan, elle me comprend. Ce qui n'empêche pas quelque secret ou mystère. Seulement, mon Amie fait partie intégrante de moi, comme je fais partie d'elle. Lorsque nous nous somme rencontrées, c'est comme si nos esprits et âmes se reliaient, comme si, à la naissance, nous ne faisions qu'une. Scindées... puis reliées."
La jeune fille à la longue, soyeuse chevelure noir de jais, n'ajouta rien. Elle ne commenta point le récit que lui avait fait Pearl, sentant que la jeune fille avait offert un inestimable présent à son interlocutrice, un épisode de son passé, extrait de sa vie. Ne voulait pas risquer de gêner, froisser, la Vampire, donc se taisait. Et puis, qu'aurait-elle dit ? Elle préférait, de loin, garder enfouie en elle cette histoire, la protéger, gage d'amitié.

Mist, d'un de ces bonds lestes et imprévisibles dont il avait le secret, fit des genoux de Pearl son socle et se figea ainsi, droit et fier à l'image d'une statue de pierre noire. La Vampire ne tressaillit pas, trop occupée à détailler Misa du regard, captivée par sa réponse. Elle comprenait la nature de ce lien entre elle et le Corbeau. Bien qu'il existât une semblable chaîne reliant son propre cœur à celui Mist, elle ne pouvait empêcher une certaine fascination de se peindre sur son visage.
Lorsque la jeune Hybride se tut, Pearl tissa une invisible toile sur ses lèvres, délaissant aux braises le soin de briser le silence de leur crépitement. Au bout de quelques minutes de ce semi-silence, la jeune Vampire éleva sa main droite, effleurant au passage la robe fuligineuse de Mist et ne bougea plus. Un léger froissement se fit entendre derrière Misa, et les fenêtres se couvrirent de leur rideaux, toutes, à l'exception d'une. Le Chat noir se laissa glisser jusqu'au sol pour permettre à sa compagne de se lever. Cette-dernière se dirigea d'un pas indolent vers la vitre et caressa du bout du doigt sa surface glacée, s'imaginant toucher les étoiles scintillantes derrière elle. Le cortège des ombres se traînait mollement sur le paysage, répandant dans son sillage la brume obscure qui tiendrait en son joug les lieux jusqu'à la renaissance du soleil. Pearl esquissa un léger sourire et son coeur se refroidit au contact de la vitre contre lequel elle s'était machinalement collée. Le château aurait pu prendre cela pour un désir de se retrouver au dehors, aussi, habituellement, ses murs se seraient dilatés pour permettre à la jeune fille de se glisser à l'extérieur mais Mist, conscient de l'insouciante torpeur de son amie, retenait cette-dernière à lui.
Il tourna son regard d'émeraude vers Misa.

- Souhaitez-vous faire quelque chose de particulier cette nuit ?, demanda-t-il.

Mêydan observait d'un air admiratif le Maître du , pour ce don qu'il avait de s'immobiliser. Statue. Noire, luisante, réfléchissant la lumière.
Elle, ne pouvait s'empêcher de bouger, remuer, s'envoler, claquer le bec, rouler des globes oculaires, et tout regarder alentour.
L'Oiseau écoutait aussi son Amie et compagne, Misa, essayer de définir ce lien étrange qui les réunissait. Le Lien. Ce qui ne l'empêchait néanmoins pas de gesticuler en tout sens, dans toutes les directions. La jeune Mi-Démone la caressa de nouveau, l'apaisant, faisant ralentir les rythmes de son vif petit cœur. La plongeant dans un état proche du Rêve éveillé, que l'on atteint à l'aide de quelque substance non-recommandable. Mêydan rapprocha ses pattes, rentra sa tête dans son noir plumage. Ses yeux étaient clos.
Lorsque les épais rideaux, ne laissant rien filtrer du-dehors, recouvrirent les fenêtres de leur lourd tissu, Misa ne tressaillit point. Elle se leva juste. Comme répondant à un signal. Silence brisé par un frottement, mi-métallique mi-tissu.
Le Corbeau femelle, elle, sursauta, revenant brusquement à la réalité. Sa tête se redressa vivement, ses yeux clos se rouvrirent, et ses pupilles scrutèrent les fenêtres, affolées. Se calmèrent néanmoins en voyant qu'aucune attaque n'avait eu lieu.
Misa se rapprocha calmement, gracieusement, d'une allure féline, de la seule fenêtre apparaissant. Lançant son regard au-dehors. Ce qu'elle vit ne la rebuta pas, au contraire. Autres rideaux, fins haillons de brume, minuscules gouttelettes d'eau perlant.
Mêydan se rapprocha, rejoignant son Double et Pearl, se posant sur l'épaule de cette première. Qui posa les mains sur la vitre. Et les retira aussitôt, face à la froideur du verre. Pourtant la jeune fille fit un nouveau pas en avant, son corps vêtu de sa combinaison d'Ertaj, sa longue chevelure de la même teinte que le paysage de l'autre côté de la vitre effleurant cette dernière. Admirative de ce qu'elle observait derrière la fenêtre. Promesses de ballades, promenades, magnifiques, nocturnes ou diurnes. Inspiration.
Ce fut Mêydan qui répondit au Chat, statue pour le moment, à nouveau, animée. Elle savait ce que souhaitait répondre son Amie. La plupart du temps, les pensées de celle-ci lui étaient interdites, floues, mais en cet instant limpides.
"Non non, nous n'avons rien prévu. Si vous souhaitez nous faire découvrir quelque chose, nous vous suivons volontiers !"
Misa enchaîna, parfaite suite des paroles du Corbeau femelle. Qu'elle regarda avec, au fond des yeux, tendresse infinie et amour en expansion.
"Si au contraire vous souhaitez être seuls, nous vous laisserons et monterons dans notre chambre. Dans tous les cas, aurais-je la possibilité de renouveler ma garde-robe, très appauvrie, qui se ne compose pour l'instant que d'une robe et de cette tenue-ci ?"

Pearl acquiesça :

- Bien sûr. Ce château regorge de secrets. Vous le comprendrez en ouvrant les portes de votre armoire, lorsque vous regagnerez votre chambre. A l'heure qu'il est, elle doit être emplie de vêtements en tout genre.

La jeune Vampire se détacha de la vitre, basculant en arrière d'une manière tout à fait surnaturelle, d'une telle façon que l'on aurait pu croire qu'elle se laissait tomber à même le sol. Les genoux fléchis, la tête à l'envers et les pieds résolument collés au sol, elle demeura immobile un instant avant de se redresser. Vraiment, sa sinistre demeure lui donnait des airs de possédée. Pearl ne semblait pas se rendre compte de la bizarrerie de son attitude. Le regard plus lointain que jamais, elle se tourna vers Misa et lui dit encore :

- Si je puis me permettre de vous donner un conseil . . . La nuit, s'il vous prend l'envie d'aller vous promener, surtout, ne vous aventurez pas trop loin du château.

En entendant les paroles de Pearl, Misa caressa le doux, profond pelage de son Amie, le Corbeau femelle Mêydan. De contentement. Elle fit lentement descendre sa main, en un mouvement uni. Et effleura de ses fins doigts les serres de l'Oiseau. Elle ramena ensuite sa main contre son corps, et serra le poing, le desserrant, le resserrant, alternativement.
En voyant l'étrange, déroutante attitude de la jeune Vampire, la jeune fille à la chevelure noir de jais souleva imperceptiblement l'un de ses délicats, fins sourcils, étonnée. Mais nullement effrayée. Elle songea alors que ce devait être une pose habituelle pour une personne ayant vécu seule un temps infini, en seule compagnie de deux félins. Et ne voulut faire aucune remarque, aucun geste déplacé, de peur de froisser son hôte qui ne pouvait être consciente de l'étrangeté de son attitude.
Misa caressa une nouvelle fois sa Compagne, qui parut s'ébrouer, s'étirer, et prit son envol, pour se percher en haut d'une minuscule étagère, surplombant la gargantuesque pièce, démesurée.
"Merci de m'avoir rassurée. Le génie de notre Dernière Demeure m'évitera donc quelque confrontation avec le village, ou plutôt ses habitants, en contrebas."
Apercevant le regard ailleurs, sans doute ne voyant plus la pièce mais d'autres paysages, d'autres étendues, de Pearl, Misa prit une dernière fois la parole, se préparant à retrouver le couvert de sa suite.
"La Brume... C'est elle n'est-ce pas ? Qui vous captive, que vous admirez en même temps que redoutez ? C'est elle, le danger planant sur le parc ? Je vous avoue, Pearl, que jamais auparavant je n'avais rencontré de brume douée de vie, même dans les nombreux ouvrages que j'ai eu le plaisir de lire. Je souhaite donc de tout mon cœur me promener, et la retrouver. Mais est-elle si terrible ? Que peut-elle donc faire, ou être, pour vous inspirer la crainte, une fois la nuit venue ?"

(Hors RP : Dans ma phrase "Le génie de notre Dernière Demeure m'évitera donc quelque confrontation avec le village en contrebas.", le mot "génie" ne désigne pas quelque esprit. Il désigne la, en quelque sorte, grande "intelligence" du . ^^)

Pearl ouvrit de grand yeux mais sa bouche demeura résolument fermée. Ses lèvres décrivirent un mouvement, comme cherchant à s'entrouvrir, mais le caractère ineffable des pensées de la jeune Vampire l'empêchait de produire la moindre parole. La Brume . . . Cette entité indéfinissable qui tenait en son joug ces terres depuis des siècles, qu'était-elle au juste ?

- Je ne saurais répondre avec exactitude à question, murmura-t-elle. Oui, cette Brume me fascine . . . m'effraie . . . Mais Mist lui-même ne m'a jamais avoué quel était son secret. Le connait-il seulement ? Je l'ignore.

Elle lança un regard au Maître des Lieux, immobile derrière elle. Le félin ferma les yeux et son ronronnement redoubla de volume. Simple mise en avant d'une innocence voulue et travaillée. Impossible de déceler la vérité dans cet adorable regard émeraude.

- Si toutefois vous désirez vous perdre dans la contemplation de cette majestueuse puissance inconnue, vous pouvez m'accompagner jusqu'à la Serre. Malgré tout, je préfère vous prévenir d'une chose . . .

Pearl leva ses yeux gris cendre vers ceux de Misa. Elle ne regardait plus dans le vague à présent. Ses pupilles rivées sur l'âme - où du moins le voile dont celle-ci se recouvrait - de la jeune Hybride, elle cherchait à voir au-delà, s'adressant directement à l'essence de vie même qui habitait ce corps déchiré entre deux sangs.

- Lorsque nous sortirons de cette Serre, après avoir vu le Brouillard au travers de ses immenses vitres . . . vous serez comme moi.

Lorsque Mist ronronna plus fort, Misa lui jeta un long regard, détournant seulement les yeux, le corps toujours dans la direction de son interlocutrice. Elle remarqua l'air innocent du Chat, quelque peu somnolant, et crut en son apparente ignorance du secret de la Brume. Mêydan, elle s'envola, se posa aux côtés du mystérieux félin, et lui insuffla l'une de ses pensées, si bas, que seuls eux deux en eurent connaissance
"Bon entraînement, le Chat. J'ai l'impression que tu as bien trompé Misa", fit-elle en souriant, du sourire étrange et irréel qu'ont les animaux."Mais moi, je suis presque sûre que tu connais tout de la Brume. Ce qui serait logique, au regard de ton intelligence, et de ta connaissance, supérieures."
L'Oiseau prit de nouveau son envol, avec force, et d'une énergique poussée, pour mieux revenir à son perchoir, une insignifiante étagère.
La jeune Mi-Démone, guerrière à la longue chevelure d'un noir brillant, pendant ce bref monologue dont elle ignorait tout, avait replongé ses yeux bleu sombre, Mers démontées, Océans en furie, dans ceux gris terne, Cendres, de Pearl. Elle l'écoutait. Et soudain, elle eut l'impression que son hôte, amie ?, plongeait en elle, la transperçait, voyait en elle, lisait en elle ! Que cette jeune fille, d'un âge inconnu, depuis si longtemps seule dans leur Dernière Demeure avec pour compagnie deux seuls félins, oublieuse des hommes et de la civilisation, à l'abri des guerres et des massacres ; que cette personne fascinante avait atteint son âme et la contemplait. Qu'elle lui transmettait un message, aussi bien au fragile humain qu'au monstrueux démon. Les mettant en garde, les prévenant qu'un entité plus forte qu'eux pourrait bien les recouvrir, les étouffer, les faire disparaître. Mais pas tout à fait. Les rendre seulement impuissants.
En Misa, les deux parties en présence remuèrent. Le Démon rugit, exprimant son refus de mourir, souhaitant garder son pouvoir sur la jeune fille. L'Humain cria, approuvant son ennemi naturel. Pour la première fois de sa brève existence, Misa ressentit une union, les deux morceaux de son âme s'étant rejoints, d'accords. La tempête en elle, normalement déchaînée ou murmure supportable, selon, avait disparu. Inexistante.
La jeune Mi-Démone sentit que c'était là son salut. Que la Brume, s'infiltrant en elle comme en Pearl, pourrait bâillonner les deux entités toujours en conflit. Pour la première fois, elle ressentit un sentiment étrange, grisant, faisant battre son cœur un peu plus vite, et briller ses yeux. L'Espoir.
"Si être comme vous signifie calme, silence, alors j'accepte de vous suivre. Si cela veut aussi dire évoluer sans bruit, disparaître au vent, ne faire qu'un avec la Brume, alors j'accepte de l'accueillir en moi. Seulement... Mêydan ressentira aussi quelque effet ? Je ne souhaite l'impliquer dans quelque chose la privant de sa véritable identité."