Fin du premier entraînement de Misa

Misa se sentait vide, apaisée, comme après chaque entraînement. Revigorée, calme, pleine d'un sentiment de plénitude que seule sa pratique de l'Art Martial, l'Ertaj lui prodiguait. Sereine.
"Alors Miss, pas trop déçue par un ex æquo ?"
Mêydan, sa chère compagne, la sortit de ses pensées.
"A ta place, je me tairais. Tu as des ailes, pas moi. En plus, dans le ciel, il n'y a aucun obstacle. N'est-ce pas Madame la mauvaise joueuse ?"
Mêydan, vexée, lui siffla au visage. Et poussa un petit cri, mélange de rire et de dépit.
*D'abord je n'ai pas perdu !* pensa-t-elle très fort, poursuivant leurs joutes verbales, affectueuses. Mais son interlocutrice ne lisait pas dans son esprit, concentrée sur les bruits alentours, arrêtée entre deux arbres. Aux aguets. Et ce qu'elle entendit parut lui déplaire. Elle extirpa rapidement, de l'intérieur de la doublure de sa combinaison, un rectangle de parchemin, plié en deux. Qu'elle tendit au Corbeau femelle.
"Tu donneras ça à celui ou celle qui arrivera, d'accord ?"
Mêydan acquiesça, ravie à l'idée de rencontrer quelqu'un. Car les entrainements de Misa la laissaient quelque peu seule. Et à la fin de ceux-ci, la jeune fille ne souhaitait pas souvent parler, gardant précieusement, religieusement, les traces du bien-être que pratiquer l'Ertaj lui offrait. Si elle le faisait, leurs conversations n'étaient pas palpitantes, peu profondes.
La jeune fille à la chevelure noir de jais, se confondant avec l'obscure voûte peu étoilée, se fondit furtivement, mais néanmoins au pas de course, dans les rameaux feuillus qui les entouraient. Féline.
Mêydan prononça, dans sa langue, ces quelques mots, qu'elle pensa tout aussi fort :
"Approche, qui que tu sois. Je n'aime pas ceux qui observent de l'ombre, car c'est une caractéristique des gens malveillants."
Et elle se posa sur une branche basse. Patiente. Prête à s'envoler, fuir, au moindre geste, bruit suspect. Attentive.

Mist, tapi dans l'ombre, esquissa un sourire félin. Puis il bondit du buisson dans lequel il se cachait. Ses pattes de velours s'enfoncèrent un peu dans la mousse vert sombre de la forêt lorsqu'il atterrit près de du perchoir de Mêydan.
- Miaou !, lança-t-il d'un air joyeux, avant d'éclater de rire.
Voir un Chat rire était tout à fait spectaculaire, à plus forte raison quand le Chat en question s'appelait Mist. Ses moustaches vibraient et sa bouche, grande ouverte, hilare, laissait échapper de longs sons parfois graves, parfois aigus.
Lorsque Mist eut terminé de s'esclaffer, des larmes brillaient encore au coin de ses yeux émeraude. Il ne comprenait pas vraiment ce qui avait déclenché cet élan de bonne humeur, aussi ne tarda-t-il pas à engager la conversation, comme si de rien n'était :
- Bonsoir, Dame Corbeau !
Il repensa aux paroles que celle-ci avait lancées avant qu'il ne sorte de sa cachette.
- J'observe depuis l'ombre, certes, dit-il avec un sourire en coin. Mais je suis né de l'ombre même. Cela fait-il de moi une créature malveillante ?

Les yeux de Mêydan étincelaient, pétillaient.
"Bonsoir, Le Chat. J'ignore si tu es malveillant, mais..."
Passant sans réfléchir du vouvoiement de mise au tutoiement, le corbeau femelle hésita quelque peu. Ne sachant pas comment son hôte allait réagir. Mais, néanmoins, ne regrettant en rien sa décision hâtive. La porteuse du plumage noir d'encre inclina la tête sur le côté, fermant à demi ses paupières de la même couleur profonde. Couleur de néant.
"... je ne crois pas. Tu es un cas particulier, différent des autres. Exceptionnel. Plus intéressant à vrai dire. Enfin... de mon point de vue."
La compagne de Misa Khrystalide se redressa, déploya la large envergure de ses ailes et s'envola quelque peu, pour se poser sur une autre branche. Pour se mettre à la même hauteur que son interlocuteur. En enfonçant ses serres dans le tendre bois vert, elle fit tomber des échantillons de la même mousse que celle qui recouvrait le sol, d'une teinte plus foncée, mais rappelant celle des yeux de Mist.
"De toute manière, peu importe la race, peu importent le nom ou la caste, l'importance des familles ou ce qu'elles ont fait, peu importe le passé. Seuls comptent les actes présents et les pensées intérieures. S'ils sont bons, alors la personne n'est pas malveillante. C'est une chose que Misa a du mal à entendre, du mal à comprendre."
Et sa voix se fit affectueuse à l'évocation de son amie.

Mist écoutait Dame Corbeau avec attention, l'oreille droite dressée et le reste du corps totalement immobile, adoptant à la perfection l'allure d'une statue. Seuls ses yeux émeraude daignèrent esquisser un mouvement lorsque Mêydan s'envola vers une autre branche, et ses pupilles fines et étirées glissèrent jusqu'au sol pour suivre la cascade de débris végétaux que provoqua l'atterrissage de l'oiseau.
Le Chat noir sourit en écoutant l'avis, qu'il partageait, de la compagne de Misa au sujet de la malveillance d'un être. Ses babines se soulevèrent un peu plus lorsqu'elle continua en évoquant son amie. Mist appréciait cette fidélité et cet amour qui les unissaient. Il partageait un lien semblable avec Pearl.
Lorsque Mêydan se tut, la brise vint caresser le pelage de soyeuses ténèbres du félin et celui-ci, comme réanimé, marcha de son habituel pas digne et fier vers l'arbre qui tenait lieu de perchoir au Corbeau. D'un bond leste et gracieux, il la rejoignit sur la branche. Ses pattes devant s'avancèrent tandis qu'il s'étirait, puis le reste de son corps se posa contre le bois. Le menton posé entre ses griffes, en une posture nonchalante, il fixa Mêydan avant de déclarer :

- Votre compagne, Demoiselle Misa, semble avoir traversé de bien sombres nuages de vicissitudes.

Mêydan, contrairement au Maître du Château, bougeait les pupilles dans toutes les directions, se balançait d'une patte sur l'autre, étirait ses ailes, et tournait la tête en tous sens. Néanmoins, elle n'en était pas moins concentrée sur ses paroles. Lorsque son interlocuteur arriva auprès d'elle, le Corbeau femelle ne recula pas, mais rejeta la tête en arrière. Surprise. Puis elle la ramena en avant, écouta le Chat d'un noir charbonneux, et le sonda de ses petits yeux intelligents, tendue. Il semblait sincèrement désolé pour Misa, et compatissant. Mêydan se détendit, souffla, et scruta la nuit, cherchant une réponse adaptée. Ses larges pupilles obliquèrent vers Mist, ce, pendant qu'elle lui déclarait :
" Tu as bien raison. Mais je ne peux t'en dévoiler plus. D'une part parce que je suppose que tu connais déjà tout de Misa, ou, du moins que tu le devines, et ensuite parce moi-même je ne la connais que depuis une huitaine de jours."
Le Corbeau femelle se redressa. Elle se pencha ensuite vers l'avant, et saisit le parchemin enroulé confié par Misa, qu'elle tendit au Maître du Château.
"Tiens. Misa me l'a confié pour toi", fit-elle d'une voix rauque.

Les poils noirs au-dessus de l'oeil gauche de Mist se soulevèrent légèrement, comme un haussement de sourcil, lorsque Mêydan avoua ne connaître Misa que depuis une semaine. Cela laissait le Chat indécis quant à l'expression qu'il devait afficher : la neutralité, ou la surprise ?
Misa était une créature intéressante de son point de vue, et en tant que Maître il en savait long sur elle sans avoir eu à sonder trop profondément son esprit. Cependant, bien qu'il lui eut été aisé de saisir la longueur du temps écoulé entre leur rencontre et l'instant présent, il ne pouvait empêcher une certaine admiration stupéfiée de grandir en lui en pensant à Misa et au Corbeau. Elles semblaient tellement proches ! Il avait du mal à se rendre à l'évidente réalité, à savoir, le fait qu'elles ne se connaissaient que depuis peu. Peut être ce genre de relation avait été aussi subite entre lui et Pearl, mais le Maître des lieux s'en rendait pas compte. Il était certain de la connaître depuis des années. Une simple Illusion ? Il ne pouvait se résoudre à adopter cette idée.
Mist se redressa, adoptant une posture de Sphinx, pour mieux observer le rouleau de parchemin que lui tendait Mêydan. De sa patte de velours noir, il saisit la lettre et leva la tête vers le Corbeau et demanda :

- Dame Mêydan, je crains ne pas parvenir à lire les mots de votre Maîtresse. Pouvez-vous me lire son message ?

Le Corbeau femelle, compagne et amie de Misa, acquiesça à la demande du Chat noir.
"Bien sûr !"
Elle se rapprocha de lui, se déplaçant sur le côté, d'une démarche voisine de celle du crabe, à la différence près qu'elle sautillait.
Mêydan prit son inspiration avant de lire les mots écrits par son amie, qu'elle découvrait en même temps que Mist.
"Bonsoir, qui que vous soyez, du Maître ou de Pearl.
Ce message est à l'attention de cette dernière, mais s'il vous est remis, Maître, vous pouvez déchiffrer ces quelques lignes, et transmettre à votre Amie leur contenu.
Peut-être connaissez-vous mon passé, tout du moins l'une de ses parties. Je me suis élevée seule. Je ne sais donc pas avec exactitude comment me comporter en société. Peut-être suis-je misanthrope, je l'ignore. Ce que je sais, néanmoins, c'est que je fuyais, jusqu'à maintenant, la compagnie des hommes, et ceux-ci me le rendaient bien. Œil pour œil dent pour dent, n'est-ce pas ? C'est une maxime que je trouve désastreuse, et idiote, pour ma part, mais la plupart des êtres vivants doués de pensée, humains surtout, l'appliquent très souvent.
J'ai donc été surprise que quelqu'un s'intéresse à moi et m'adresse la parole, cela m'a déstabilisée. Pardonnez donc ma réaction face à votre Nature. Je m'incline pour espérer avoir, ne serait-ce qu'une once de votre pardon. Néanmoins... Ne me prenez pas pour une victime, un être martyr. J'ai moi aussi mes torts, me semble-t-il.
Je finis ce texte par une note plus amicale, en vous demandant si vous êtes pour le fait de nous voir, et d'apprendre à faire connaissance.
Que la Lune éclaire à jamais votre chemin, aussi sombre fusse-t-il.
Votre dévouée,
Après avoir terminé la lecture du parchemin, Mêydan essaya, difficilement, de rouler le parchemin, mais elle n'y parvint pas.

Mist contempla les vaines tentatives du Corbeau pour rouler le parchemin, l'air pensif. Lui-même avait parfaitement compris la lettre de Misa, mais estimait que celle-ci devrait être lue par sa véritable destinataire, afin que les mots de la jeune Hybride ne se perdent pas. Pearl saisirait certainement la détresse entre les lignes élégantes et son coeur s'ouvrirait aussitôt. Le Chat noir hocha la tête. Il promena son regard sur la clairière au pied de l'arbre et bondit lestement, sans le moindre bruit. Il huma l'air et, n'y découvrant pas l'arôme singulier de l'aura de sa compagne, se mit en quête, au plus profond de son coeur, du lien qui les unissait. Puis il s'assit tranquillement sur l'épais tapis de mousse qui jonchait le sol et attendit.
Il fallut peu de temps à la jeune Vampire pour rejoindre le Maître. Bientôt, le bruissement des végétaux annonça son arrivée, et sa silhouette voilée d'une éternelle cape gris cendre surgit entre deux chênes. Elle s'avança jusqu'au chat, s'agenouilla près de lui et murmura tendrement :
- Mist, quelles sont les raisons de ton appel ?
Le Chat noir leva ses yeux émeraude vers Mêydan.
- Dame Corbeau a une lettre pour toi, répondit-il.
Pearl suivit le regard de l'animal et croisa celui, transperçant à l'image d'un essaim de flèches, de l'oiseau.
- Ravie de vous revoir, Dame Mêydan, déclara poliment la jeune fille. Quel est donc cette lettre ?

Mêydan fixait effrontément la nouvelle arrivée, essayant de déchiffrer la figure impénétrable de la jeune fille. Mais c'était peine perdu. Elle ouvrit donc le bec, et lui répondit :
" Un message que vous destine Misa. Votre Ami l'a déjà lu..."
Elle tourna la tête vers les buissons environnants, touffus, vert foncé, quelque peu menaçants. Elle sentait confusément que Misa approchait, encore loin, attendant un signal de la part de son amie pour arriver près du Maître du Château et de Pearl.
Elle s'ébroua. Leva la tête vers la nue, voûte éclairée par quelques point scintillants. Éclats, fragments de pierres précieuses. Étoiles.
Et rabaissa la tête au niveau de la jeune Vampire. Lui tendit le parchemin.

Pearl saisit délicatement le parchemin et le déroula sans quitter des yeux le fascinant animal. Son regard glissa le long des plumes couleur d'encre, se délectant de leur froide beauté, avant de retomber sur la lettre de Misa. Un instant, ses yeux du même gris mort que sa cape s'attardèrent dans le vide saisissant de ses pensées, avant de se lancer dans la lecture. Ils bondirent de lignes en lignes, avalant chacun des mots de la jeune Hybride et lorsque Pearl, se heurtant à la signature comme à une muraille, se vit bien obligée de deviner ici la fin de la lettre, un voile humide les recouvrit. Mist esquissa un sourire félin. Voir sa compagne au bord des larmes ne lui inspirait certes pas la joie, mais il ne pouvait empêcher la satisfaction d'apparaître sur sa face en assistant à cette concrétisation de ses pensées.
Pearl leva alors la tête vers Mêydan et lança, retenant avec difficulté l'émotion de sa voix :

- D'accord ! Je comprends ce que ressent votre amie ! Je serais ravie d'apprendre à faire sa connaissance !

Mêydan, observait Pearl lorsque celle-ci lisait la lettre de son amie, compagne, et se sentit gênée. En effet, la Vampire apparaissait, au bord des larmes, et le Corbeau femelle se sentait inquisitrice, s'immisçant dans les sentiments de la jeune fille. Ceux-ci n'étant pas joyeux, gais, mais au contraire violents, once de l'énergie du désespoir.
Mêydan glissa sa tête sous l'une de ses ailes, et si les oiseaux avaient pu rougir, elle serait devenue de la même couleur que celle du ciel dans le soleil couchant. Mais seule son apparence d'un noir d'encre, tranchant avec son sentiment de gêne, apparaissait au monde.
Soudain, sans prévenir, elle s'envola, tourna quelque peu et se reposa sur la même branche, ce pendant que Pearl, plongée dans la lecture, ne l'observait plus. Car la compagne de Misa était aussi gênée par l'attirance qu'elle lisait dans le regard gris, plongeant, Néant, de l'amie de Mist. Lors de son court envol, et de son atterrissage, aucun son n'avait fusé. Cette fois-ci, aucune mousse, feuille ou espèce végétale ne chuta au sol, ne le rejoignant pas encore. Échéance repoussée. Pour quelques temps.
Lorsque la Maîtresse du Château lui adressa la parole, Mêydan se tourna vers elle, avec un air d'apparent détachement sur la figure. Elle regarda longuement dans une direction particulière. Attentive. Pour son bonheur, Misa arrivait en courant. Elle répondit enfin, d'une voix aérienne, chaleureuse, transpirant le contentement , parole qui serait de nouveau traduite par Le Chat :
"Vous pourrez le lui dire vous même !"
La jeune guerrière à la chevelure noir de jais entra dans le maigre espace découvert.

Pearl sursauta aux paroles de Mêydan, et se tourna pour faire face à Misa. Malgré sans connaissance sans limite des lieux, malgré son lien profond avec chaque parcelle des environs, la jeune Vampire n'avait pressenti l'arrivée de l'Hybride. Cela la décontenançait. Mist, quant à lui, posa un regard calme sur Misa, nullement surpris.

- Ravie de vous revoir, Mademoiselle Misa, lança-t-il.

Pearl le regarda, l'air désespéré. Elle ne savait que dire. Ses yeux se posèrent à nouveau sur la jeune fille. D'une main tremblante, elle leva la lettre, pour lui signifier qu'elle l'avait lue. Encore troublée, et ne trouvant point d'issue à son mutisme, la Vampire choisit de s'incliner, de sorte de bénéficier de quelques secondes supplémentaires pour recouvrer son courage. Lorsqu'elle se redressa, c'est d'une voix plutôt assurée qu'elle parla :

- Je serais tout à fait enchantée d'apprendre à faire votre connaissance, Misa. Je vous ai peut être blessée précédemment. J'espère que vous excuserez ma maladresse naturelle.

Misa, encore en tenue de combat, des feuilles et autres éclats verdâtres dans les cheveux, avait un air quelque peu sauvage, farouche. Redressant la tête, elle la hocha d'abord en jetant un regard pétillant en direction de Mêydan, qui poussa un petit cri joyeux, et la tourna ensuite vers Mist.
"Moi de-même, cher Maître."
Et dans sa bouche pulpeuse, contenant rangées de dents blanches étincelantes, ce dernier mot était teinté de respect, sans pour autant refléter quelque intérêt, qui d'ailleurs n'effleurait pas l'Âme de Misa. Cette dernière s'effaça quelque peu, plongée dans l'abysse des pensées profondes l'habitant. Lorsqu'elle entendit la voix troublée, chancelante, pouvant à tout moment être emportée par le vent, de Pearl, elle baissa la tête, ne sachant comment se comporter, que répondre. Alors qu'elle songeait à cela, quelque souvenir remonta en elle, des tourbillons mugissants tels des flots déchaînés bouchèrent ses oreilles, la recouvrirent tout entière, l'arrachèrent au monde réel, quelque sombre force remua en elle. Un déclic se produisit. Une esquisse de sourire sincère, chaleur réconfortant comme un feu de bois, se dessina sur ses lèvres, qui s'étirèrent peu, mais néanmoins suffisamment pour être remarquées. Et un sourire vaut toutes les bonnes paroles du monde.
Mêydan faillit en tomber de son perchoir, de surprise. Elle qui croyait tout connaître de Misa, et la réciproque était vraie, pouvait encore être étonnée par sa compagne !
Mais le plus intéressant était, à vrai dire, la réaction de leurs deux interlocuteurs. Qui n'ignoraient pas que Misa ne savait tout bonnement pas sourire. Jusqu'à cet instant précis.

Pearl dut cligner plusieurs fois des yeux avant d'être certaine que les téméraires rayons solaires perçant la voûte des arbres ne l'avaient pas aveuglée. Ce sourire, sur les lèvres de Misa Khrystalide, avait tout l'air d'une illusion. La jeune Vampire n'aurait jamais cru un tel miracle possible s'il n'avait pas été aussi brusquement jeté au devant de son regard. Elle garda à grand peine sa bouche fermée, craignant d'afficher l'inquiétante face d'un poisson trop cuit, puis se tourna vers Mist. Assis à la manière d'un Sphinx, il contemplait Misa, profitant du spectacle singulier de ce sourire inattendu.

- Mademoiselle Misa, votre sourire surpasse sans mal l'éphémère splendeur d'une étoile filante.

Ces mots avaient jailli de la bouche de Pearl, franchissant sans son accord le seuil de ses lèvres pour aller se perdre dans l'atmosphère. Bien sûr, elle les pensait, mais craignait qu'ils ne soient mal interprétés. La jeune Vampire avait toujours éprouvé du mal à se faire comprendre sans l'aide d'une plume.

Le sourire de Misa s'évanouit, non point par contrariété ou par quelque vil sentiment, mais tout bonnement part ce qu'il avait assez existé. Son temps était passé.
"Je vous remercie."
Elle s'inclina, et lorsqu'elle se redressa, Mêydan s'envola, décrivit un maigre arc-de-cercle et se posa sur son épaule droite. Perchoir adulé.
"Vous pouvez m'appeler Misa, Damoiselle Pearl. Cela serait déjà un grand pas vers la connaissance. Si vous acceptez, bien entendu."
Et son regard se porta vers le parchemin, que tenait encore son interlocutrice dans la main.
"Vous l'avez donc lu...J'espère que vous ne le prenez pas trop à cœur, et je ne vous inspire pas de la pitié, ou quelque autre semblable sentiment. Je ne suis pas à plaindre "
Misa prononçait ces mots d'une voix légère, pour ne pas que ces propos soient mal-interprétés. Pour ne pas donner l'air de prôner le contraire de ce qu'elle affirmait.
"La Nuit tombe. J'aime l'obscurité et ce qu'elle promet, mais je suis fatiguée de mon voyage. Voulez-vous rentrer ?"
Mêydan appuya sa proposition d'un hochement de la tête, et se tourna vers Mist. Elle souhaitait lui parler, rentrer lui fournirait cette occasion.

- Cette majestueuse créature qu'est la pénombre appelle a elle bien des dangers, en ces lieux, déclara Pearl. je suis d'accord pour que nous rentrions dès à présent.

Tandis que le petit groupe se mettait en marche, elle ajouta :

- Ce serait un plaisir de vous appeler par votre prénom, à condition que vous fassiez de même pour moi.

Mist, marchant auprès de sa compagne, ne quittait du regard le Corbeau, perché sur l'épaule de Misa. Ils n'avaient échangé aucune parole à ce sujet mais il saisissait son désir de s'entretenir avec lui. Cependant cet oiseau sibyllin cachait bien des secrets sous son noir plumage, aussi le Chat ne parvenait-il pas à deviner ses pensées.



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